
Dépaysement garanti ! Déjà, l’egusi soup n’est pas une soupe comme on l’entend chez nous. Au Nigéria, les « soupes » sont plutôt des plats en sauce, plus solides que liquides.
Ensuite, les ingrédients. Je vous parie mon chapeau que vous ne les connaissez pas tous (ne vous inquiétez pas, je vous explique tout en détail).
Puis, la dégustation. Les soupes nigérianes sont toujours servies avec une sorte de pâte appelée « swallow » (littéralement, « avaler »), faite à base d’igname, manioc, riz… bref un féculent. On prend un morceau avec les doigts et on s’en sert pour ramasser un peu de soupe. Bien sûr on peut aussi utiliser des couverts, mais c’est meilleur avec les mains, paraît-il (moi j’ai tenu 30 secondes).
Et pour finir, le goût ! Je vous mentirais si je vous disais que vous allez forcément adorer. C’est différent, c’est dépaysant, c’est un peu déroutant quand on n’est pas habitué. Mais l’egusi soup est l’une des soupes nigérianes les plus populaires, et réputée pour être la plus aimée des étrangers. Alors si vous avez l’âme aventureuse, pourquoi ne pas vous lancer ?
Attention, long article ci-dessous ! N’hésitez pas à aller directement à la recette.
Les graines « egusi » ou pistaches africaines
Cette recette tire son nom d’une graine, appelée « egusi » au Nigéria, ou « melon seed » (graine de melon), ou encore « pistache » dans les pays francophones de l’Afrique de l’Ouest. Elle ressemble aux graines de courge, mais version blanche. Ce n’est pas un hasard, il s’agit bien de graines de cucurbitacées, mais de variétés différentes que celles dont on tire les graines de couleur verte. Celles que j’ai achetées en épicerie africaine étaient tout de même étiquetées « courge grains ».
L’egusi soup ne serait pas vraiment de l’egusi soup sans egusi, mais il existe pourtant un substitut simple : les graines de tournesol ! J’ai testé la recette avec et je confirme qu’on voit difficilement la différence.

L’huile de palme
L’huile de palme, gros sujet ! Sur lequel j’ai déjà écrit tout un article quand j’avais posté une autre recette nigériane, l’adalu. Je vous invite à aller le lire avant de m’accuser de tuer les orangs-outans.
L’huile de palme rouge est utilisée de façon traditionnelle en Afrique, et cette recette n’en fait pas l’économie. Elle apporte de la couleur au plat ainsi que son goût caractéristique. La remplacer par une autre huile végétale enlèverait beaucoup d’authenticité, mais ça reste possible. Après tout, des recettes similaires de « sauce pistache » existent dans les pays voisins, et n’utilisent pas forcément d’huile de palme.

Des épices typiquement nigérianes
Si les graines egusi sont au centre de cette recette, un certain nombre d’autres ingrédients viennent assaisonner le plat. De l’oignon, du poivron (et/ou de la tomate), du piment, jusque là tout va bien. Et quelques éléments plus ésotériques : le soumbala et le crayfish.
Le soumbala est un condiment fabriqué à partir de graines de néré (« locust beans » en anglais), issues de l’arbre africain Parkia biglobosa. Après quelques jours de fermentation, les graines dégagent une forte odeur, difficile à décrire et pas forcément agréable en soi (je ne suis pas la seule à le dire !). Mais une fois ajoutées dans un plat mijoté, elles opèrent leur magie pour ajouter de la complexité et révéler les saveurs. Cet assaisonnement est utilisé dans toute l’Afrique de l’Ouest depuis des centaines d’années ! Malheureusement, de nos jours de nombreuses familles le délaissent au profit de bouillons cubes industriels.
On trouve le soumbala sous diverses formes (en graines entières, en poudre, ou en petits blocs compacts) et sous plein de noms différents : soumbala ou soumbara, dawadawa, nététou, irù, ugba, ogiri…
D’un autre côté, nous avons le crayfish, le nom que les Nigérians donnent à de petites crevettes fumées et séchées, utilisées entières ou moulues pour assaisonner des plats. Demandez de la « poudre de crevette » en épicerie africaine et vous aurez des chances d’en trouver. L’odeur un peu marine et fumée rappelle le katsuobushi qui fera un bon substitut.

Et des protéines
Les « soupes » nigérianes se composent d’une sauce et de protéines, qui sont le plus souvent un mélange de plusieurs éléments, viandes et poisson, dont le choix est laissé plutôt libre (ce qui définit l’egusi soup c’est surtout la sauce). Les protéines sont cuites à part puis rajoutées à la fin. Je vous préviens, si vous n’avez pas grandi au Nigéria, la plupart ne font pas forcément envie… On trouve souvent :
- de la viande de boeuf (ce qu’ils appellent « good meat ») ou d’agneau
- des tripes de boeuf, appelé « shaki »
- des pieds de boeuf, « cow foot »
- de la peau de boeuf (j’y reviens), connue sous le nom de « ponmo »
- du poisson fumé et séché, par exemple du poisson-chat
- du « stockfish », de la morue non salée, séchée à l’air glacial de la Norvège (j’y reviens également)
- de la volaille fumée
Il n’est donc pas rare de mettre dans la soupe un mélange de viande de boeuf, de tripes, de ponmo, un peu de poisson fumé et de stockfish.
Le stockfish a une histoire fascinante. Il s’agit de poisson, généralement de la morue, qui a été séchée à l’air libre pendant plusieurs mois, sans sel ni aucun additif, à une température autour de 0 degrés. C’est un produit traditionnel de la Norvège, qui reste le principal exportateur mondial. Et le principal importateur ? Le Nigeria ! Ils en raffolent, en glissent un peu dans tous les plats, ne peuvent pas cuisiner sans. Mais comment en est-on arrivés là ?? Ce seraient les Anglais, qui en embarquaient sur leurs bateaux pour consommer et utiliser comme monnaie d’échange, qui l’auraient introduit au Nigeria vers la fin du 19e/début du 20e. De plus, durant la guerre du Biafra, une guerre civile qui secoua le pays dans les années 70 en affamant une partie de la population, la Norvège avait envoyé comme aide alimentaire des cargaisons de stockfish ! (Plus d’infos sur le stockfish : 1).
En France, le stockfish est quasi introuvable, même sur Internet, sauf peut-être si vous habitez dans le petit coin de l’Aveyron qui préserve la tradition de « l’estofinade », un plat local à base de pommes de terre et de stockfish. Quelle n’a donc pas été ma surprise de trouver un petit sachet de filets de stockfish dans une épicerie exotique à deux pas de chez moi ! Je me suis jetée dessus et je l’ai testé dans une recette (une première version d’egusi soup). Verdict : je ne suis pas fan ! Premier choc en ouvrant le paquet : ça pue !! Il semblerait que le poisson fermente pendant le processus de séchage, ce qui doit expliquer pourquoi ça sent le rat crevé ! Après une longue cuisson pour attendrir la chose, le goût s’avère passable, mais la texture reste caoutchouteuse et pas vraiment agréable. Il faut être habitué !
Autre ingrédient intrigant, le ponmo (aussi appelé kpomo). Avec des peaux de vache, en France on en fait du cuir. Mais au Nigéria, les gens adorent les manger ! Le gouvernement nigérian n’est pourtant pas fan de cette pratique. Il pointe du doigt les risques pour la santé, du fait de l’utilisation illégale de peaux destinées à l’industrie du cuir, et donc traitées avec des produits chimiques toxiques. De plus, les vendeurs de ponmo font roussir les peaux sur un feu pour brûler les poils, ce qui donne aussi un goût fumé. Mais ne vous imaginez pas un fumage au feu de bois… ils font souvent brûler de vieux pneus, du plastique, de l’huile usagée… pas top pour la santé ! L’autre motivation du gouvernement est économique : l’industrie du cuir serait bien plus florissante si les gens arrêtaient de manger la matière première ! En 2014, ils ont donc tenté d’interdire le ponmo, mais la population n’a rien voulu entendre, et a notamment utilisé le hashtag #BringBackOurPonmo sur Twitter pour protester. (Plus d’infos sur le ponmo : 2).
Je n’ai pas testé le ponmo (quasi introuvable ici au demeurant), et autant vous dire que ça ne me manque pas. Pour cette recette d’egusi soup, j’ai utilisé uniquement de la viande de boeuf, et quelques filets de poisson-chat séchés sur lesquels j’étais tombée dans une épicerie africaine.

Les légumes-feuilles
Enfin, quelques mots sur les légumes. L’egusi soup contient toujours des légumes feuilles, contrairement à la « sauce pistache » qu’on trouve dans d’autres pays. Le plus typique, ce sont les feuilles appelées « bitter leaves » (feuilles amères, Vernonia amygdalina) ou d’autres feuilles locales : ugu (feuilles de citrouille, Telfairia occidentalis), uziza (Piper guineense), shoko (Celosia argentea), ou plus simplement des épinards, bien plus faciles à trouver dans l’hexagone.
La recette est prévue pour des épinards, vous pouvez remplacer par un autre légume feuille (du chou kale par exemple), mais il faudra probablement diminuer les quantités si c’est un légume qui ne réduit pas autant.
L’accompagnement (swallow)
L’egusi soup est le plus souvent accompagnée d’une pâte obtenue en pilant de l’igname, appelée « pounded yam » en anglais. On peut aussi la servir avec d’autres pâtes dans la famille des « swallow », à base de manioc, maïs, riz, etc.
J’ai servi mon egusi soup avec de « l’eba », à base de manioc. Il suffit de mélanger 50 g de garri (flocons de manioc) avec environ 120 ml d’eau bouillante, pour obtenir une pâte pour une personne. Emballez-la ensuite dans du film alimentaire pour former une boule.
Ce n’est pas très typique du Nigeria, mais je pense qu’une purée de pommes de terre pourrait très bien être utilisée en remplacement.
Pour finir, je vous laisse avec cette vidéo de la chaîne youtube « Best Ever Food Review Show ». On peut y voir un américain découvrir l’egusi soup, le ponmo et l’igname pilée, et manger le tout avec les mains.
Source : cette recette est tirée du site Chef Lola’s Kitchen de Lola Osinkolu.
Recette d'egusi soup
Ragoût de boeuf aux graines egusi, typiquement nigérian
Ingrédients
- 250 g de graines « egusi »1 (en épicerie africaine) ou de graines de tournesol
- 100 à 200 g d’huile de palme rouge
- 15 g de « crayfish » (petites crevettes fumées et séchées, entières ou moulues, en épicerie africaine, remplacez par du katsuobushi ou omettez)
- 10 g de graines de « soumbala » ou 1 c. à café de soumbala moulu (graines de néré fermentées, en épicerie africaine) (facultatif)
- 300 à 600 g d’épinards frais, ou 200 à 400 g surgelés
- 2 poivrons rouges (300 g)
- 2 piments scotch bonnet ou habanero (« piment antillais »)
- 2 oignons rouges
- 500 - 600 g de boeuf
- 50 - 100 g de poisson fumé séché et/ou de stockfish (facultatif)
- 1 petit bouillon cube maggi (facultatif, sinon quelques tours de poivrier)
- Les graines égusi/égousi sont aussi appelées « pistache africaine », ou encore « graines de courge », mais elles sont blanches contrairement aux graines graines de courge classiques. Elles proviennent de variétés de courge différentes. Celles que j’ai achetées étaient étiquetées « courges grain ». [retour]
- 1 c. à café = 1 cuillère à café standard rase = 5 ml
Instructions
- Placez le boeuf dans une casserole ou une cocote-minute, ajoutez 1⁄4 d’oignon émincé, un bouillon cube émietté, 1⁄2 c. à café de sel et 1 piment entier. Couvrez et faites chauffer à feu moyen pendant 20 minutes. Au bout de ce temps, la viande aura rendu de l’eau. Ajoutez ensuite suffisamment d’eau pour couvrir, puis continuez de faire mijoter à couvert ou jusqu’à ce que la viande soit tendre, environ 1 heure en fonction des morceaux. Pour de la viande coriace, faites cuire sous pression à la cocote-minute. Réservez le bouillon.
- De même, si vous utilisez du poisson séché, faites le bouillir à couvert dans un grand volume d’eau jusqu’à ce qu’il soit tendre, environ 45 minutes, puis égouttez. (J’ai utilisé 50 g de filets séchés de poisson chat fumé).
- Si vous utilisez du soumbala en graines (et pas moulu), rehydratez les dans un petit bol d’eau chaude pendant au moins 30 minutes, puis frottez les légèrement avec les mains pour les nettoyer puis égouttez.
- Préparez les épinards. Pour des épinards frais, coupez les tiges puis émincez les feuilles et placez les dans un grand récipient. Versez ensuite de l’eau bouillante par dessus et laissez reposer 2 minutes. Égouttez et pressez les feuilles pour enlever un maximum d’eau. Pour des épinards surgelés, décongelez et pressez également l’excédent d’eau.
- Enlevez la tige et les graines de 2 poivrons et pelez 1 oignon. Coupez les en gros morceaux et placez-les dans le bol d’un blender avec 1 piment et 150 ml d’eau. Mixez jusqu’à obtenir une purée lisse, en ajoutant un peu plus d’eau si besoin. Réservez dans un récipient à part.
- Mixez ensuite les 250 g de graines egusi, 15 g de crayfish, et 1⁄4 oignon avec 300 ml d’eau, ou un peu plus si nécessaire.
- Faites chauffer l’huile de palme dans une grande sauteuse à feu moyen. Ajoutez 1⁄2 oignon émincé et la moitié du soumbala (si en graines). Faites les revenir 3 minutes en remuant de temps en temps.
- Ajoutez la purée de poivron et faites cuire pendant une quinzaine de minutes en remuant régulièrement, jusqu’à ce que le mélange ait épaissi.
- Ajoutez le reste des graines de soumbala (ou 1 c. à café de soumbala moulu) et 700 ml de bouillon de boeuf (l’eau de cuisson du boeuf additionné d’eau si besoin). Couvrez et laissez mijoter 5 minutes.
- Versez les graines egusi moulues en les répartissant un peu partout. Ne remuez pas, mais couvrez simplement et laissez cuire 20 minutes. Surveillez que ça ne brûle pas mais évitez de remuer avant que les amas d’egusi aient commencé à se solidifier légèrement. Remuez un peu, avec précaution pour ne pas défaire tous les amas, et laissez cuire encore 5 - 10 minutes (l’égusi a besoin d’être bien cuit pour être digeste).
- Ajoutez la viande et le poisson, et laissez cuire encore 5 minutes à découvert.
- Enfin, ajoutez les épinards, mélangez et laissez encore cuire 5 minutes. Ajustez le sel.
- Servez chaud avec de l’igname pilée, du garri (voir plus haut), ou de la purée (pas traditionnel mais ça ressemble un peu).
- Pour en savoir plus sur le stockfish : (https://poissons-de-norvege.fr/seafood-from-norway/stockfish/ https://www.kitchenbutterfly.com/2017/infographic-a-brief-history-of-stockfish-in-nigeria/ https://www.bbc.com/news/world-africa-42137476 [retour]
- Pour en savoir plus sur le ponmo : https://artsandculture.google.com/exhibit/twist-and-turn-mastering-the-skill-of-making-ponmo-pan-atlantic-university/9AISoXiVj5i4IQ?hl=fr [retour]